Le dimanche est à la hauteur de ses espérances puisque le soleil est puissant et les nuages absents. Elle choisit une robe blanche en coton léger et fin qu’elle porte sans aucune lingerie en dessous. Marianne adore cette sensation de liberté, se savoir nue sans que quiconque s’en aperçoive, désobéir à cette contrainte de couvrir certaines parties de son corps, frotter sa peau sur les plis du tissu qui se lovent là où elle le veut. Comme ses pointes qui durcissent sous la friction du coton, ses fesses qui se massent sur le cuir de son siège, ses hanches qui se balancent au rythme de son envie de plus. Cette sensibilité lui apporte aussi ce côté licencieux, voire interdit au regard de la bienséance, jouant ainsi à la perfection les préliminaires forts à-propos pour la suite de son plan. Surtout lorsqu’elle écarte les jambes pour embrayer ou freiner. Surtout lorsqu’elle s’arrête à un feu rouge à côté d’un bus à la carrosserie flamboyante indiquant qu’il transporte un groupe de sportifs dont certains jettent un coup d’œil vers son habitacle. Elle s’amuse d’en voir certains hausser les sourcils à la vue de sa robe qui monte haut sur ses cuisses et dont la finesse du tissu laisse deviner une toison brune non loin de là. Ce qu’elle aime se montrer ainsi ! Sans tout dévoiler, mais tout suggérer. C’est presque à regret qu’elle quitte ses admirateurs en bifurquant pour s’engager sur une autre route qu’eux.
Après une bonne heure de voiture, elle atteint sa destination et prend un chemin de terre qui l’amène près de la superbe propriété de l’écrivain. Marianne la longe sans s’arrêter, passe devant les grilles pleines qui empêchent de voir quoi que ce soit à l’intérieur. Elle a le temps de constater qu’elles sont fermées et qu’un digicode avec caméra attend que le visiteur montre patte blanche. Elle ne doute pas un instant que Gaspard est à l’affût, prêt à appuyer sur le mécanisme d’ouverture dès qu’elle s’annoncera. Il va être surpris. Elle a remarqué une faille en visualisant le domaine via les images satellites et s’est frotté les mains de cette aubaine : une percée dans le mur d’enceinte à l’insu du propriétaire. Marianne conduit quelques dizaines de mètres plus loin et se gare face à un énorme tas de pierres fraîchement écroulées à en croire les couleurs encore claires et non recouvertes de végétation. Il faudra qu’elle en dise deux mots à Gaspard s’il ne veut pas se retrouver nez à nez avec un indésirable. Pour l’heure, elle se réserve cette ouverture qui joue à merveille son rôle d’entremetteuse.
Munie d’un grand sac en tissu où elle a mis tout ce dont elle allait avoir besoin pour arriver à ses fins, Marianne enjambe les gros cailloux en prenant bien soin de ne pas blesser ses cuisses ni ses pieds dont les sandales fines et à haut talon ne protègent rien, certaines pierres ayant des arêtes coupantes. Elle se repère puis se faufile entre les arbres aux feuilles touffues qui embrassent ses joues, souriant aux mésanges qui semblent l’accompagner dans son aventure. Elle parvient enfin dans un pré parsemé de pâquerettes et de campanules. Très champêtre. Charmant. Le soleil est haut, fort et fiévreux. Il n’y a pas un souffle de vent, le ciel est toujours aussi azuré et la terre sème son odeur herbeuse que Marianne hume avec délectation.
Elle frissonne d’anticipation, glisse une paire de lunettes de soleil pour protéger ses yeux des rayons trop lumineux puis sort son smartphone de son sac. Il est 12 h 30. Ses doigts agiles aux ongles longs pianotent sans hésiter un message destiné à son hôte.
« Je suis Alice et je suis tombée dans le puits sans fond. Je viens de trouver les vignettes “Mangez-moi. Buvez-moi” et comme je suis gourmande, je ne vais pas tarder à leur obéir. Saurez-vous rattraper le temps avant le lapin blanc ? Saurez-vous suivre le chemin jusqu’à moi et traverser le miroir avec moi ? »
Après s’être assurée que sa prose a été lue, Marianne jette négligemment son téléphone dans son fourre-tout sans attendre la réponse, car là n’est pas son but. Elle a envie de le faire mariner comme lui la fait mijoter depuis des semaines. Œil pour œil, dent pour dent. Tu as voulu jouer, alors jouons.
Marianne scrute les alentours et trouve le coin parfait : un cèdre du Liban trône au milieu du pré et offre une partie ombragée qui participera avec brio au décor de la scène qu’elle s’apprête à interpréter. Elle étale une large serviette de plage sur le sol parsemé d’aiguilles, retire sa robe puis s’allonge de telle sorte que l’astre solaire illumine son buste, son bassin, mais pas son visage. Elle s’installe confortablement afin de donner toutes les chances à sa mission : rendre fou l’auteur qui la rend folle.
L’air chaud caresse sa peau et la met en appétit. Elle a toujours aimé se mettre nue au soleil, sentir la fournaise envahir sa peau frissonnante, se laisser à ce plaisir indescriptible de n’être plus qu’une avec la terre, l’air et ses sens. Son pubis se chauffe de désir sous les rayons ardents et elle écarte ses jambes pour laisser l’étoile du jour éjaculer sur son sexe qui pleure son envie d’être choyé et adoré.
Un léger bruit de pas sur sa droite lui indique que quelqu’un se cache à sa vue, mais qu’il ne manque rien du théâtre vivant qu’elle offre, telle une déesse faisant l’amour avec l’astre brûlant.
Elle glisse un majeur sur sa langue pour le lubrifier et entreprend de satisfaire sa nécessité de jouir sur son bouton à plaisir qui enfle sous ses caresses. Elle cherche cette sensation électrique qui met le feu dans son corps et la désinhibe totalement. Sa chair, déjà allumée par le soleil, est incendiée par le plaisir qui palpite sous ses doigts, sa bouche s’ouvre, aspirant l’air embaumé, la sueur coule le long de ses seins qui se soulèvent et lui ordonnent de s’occuper d’eux. Elle leur obéit, trop heureuse de le faire. Son corps commence à bouger avec frénésie, pris dans un tourbillon de sens qu’elle attise de ses mains. Elle n’est plus que désir. Le cerveau en ébullition, Marianne goûte la douceur du moindre centimètre de peau qu’elle malmène à dessein : elle adore la froisser, la presser, la pincer. Les frissons s’amplifient, à la frontière de tremblements incontrôlables. Elle humecte ses lèvres asséchées par ses halètements. Ses yeux se ferment pour mieux jouir de son toucher. Ses mains griffent ses cuisses qu’elle a relevées et écartées. Ses autres lèvres se gonflent de leur besoin d’être ouvertes et contemplées, sa vulve palpite d’appétence, son vagin coule de gourmandise.
Le plaisir qu’elle se donne en appelle un autre. Son sexe s’écartèle comme une fleur, tel un bouton de coquelicot qui se défripe, son corps est arqué pour en avoir plus. Impatiente de sentir en elle une présence qui comblerait le vide, Marianne tâtonne dans son sac et sort un de ses godes préférés. Elle l’introduit doucement en elle, se mordant les lèvres sous la sensation d’intrusion, l’enfonce petit à petit pour mieux éprouver ce besoin irrépressible de le vouloir plus profondément en elle. Plus fort, plus vite, plus loin. Beaucoup plus fort, diablement plus vite, sacrément plus loin. Prise à son propre jeu, elle s’écartèle, devient gourgandine, licencieuse, impudique, ouverte aux éléments.
Si un peintre se présentait à l’instant, il dessinerait sur sa toile l’image même de l’Orgasme Féminin, avec des majuscules : le corps arc-bouté, la gorge chantant un hymne à l’extase, les mains crispées, le sexe gonflé de sang éclatant son délire ; une véritable machine à jouir, un piège à plaisir, un instrument de délicieuses tortures pour celui qui regarde et qui ne peut toucher.
Le souffle court, Marianne redescend lentement sur terre, glisse ses jambes qu’elle n’a plus la force de porter et cherche à calmer son cœur et son esprit. La puissance de son orgasme lui prouve qu’elle a eu raison d’écrire cette pièce, au point de vouloir donner une seconde représentation, plus tard. Avant tout, elle doit vérifier que le maître du château a rendu les armes. Elle ouvre les yeux. Sa tête pivote vers la maison, mais son regard s’arrête sur une paire de chaussures masculines maculées de taches blanches et épaisses qui dégoulinent dans l’herbe. Elle sourit, victorieuse.
— Je m’incline, Madame, dit alors une voix grave. Gaspard, pour vous servir. Êtes-vous celle que j’espère ? lui demande-t-il en s’agenouillant près d’elle.
— J’ai faim. Qu’avez-vous donc préparé ? lui répond-elle en s’étirant de tout son long, lui laissant le loisir de contempler son corps de femme comblée.
Quelques mois plus tard, alors que Marianne déguste son café du matin en consultant un grand quotidien, elle sourit à la lecture de la une de la page littéraire : « L’art de jouir, un roman érotique d’une intensité rare que vous lirez d’une main pendant que sa jumelle s’occupera de la pratique. Impossible de rester de marbre à moins d’être de pierre. Ce diable de Gaspard Sybar a encore frappé, mais cette fois-ci, il ne l’a pas fait seul, puisque Marianne, sa muse, l’a dirigé d’une poigne d’enfer. À croire qu’il a eu la trique tout le long de l’écriture. Heureux homme. »
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