2.2 - Que mon bien-aimé entre dans son jardin, et qu’il mange de ses fruits exquis
- Von_Erato
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— Il y a que le catholicisme pour réclamer de l’argent. Ils ne peuvent pas demander au Vatican de faire un don ? S’esclaffait Matthieu en amenant le poulet à table. Ce n’est pas l’argent qui manque là bas!...
Il déposa la grande assiette fumante avec un air de défi, comme si l'ironie de sa question valait mieux que toutes les explications théologiques.
—...Mais non, faut que ce soit nous, les petits contribuables, qui payions pour leurs dorures et leurs bénédictions. Raillait il en coupant le poulet dans son blanc. En fait, Dieu, c’est comme la politique française! Les plus hauts placés sont riches et protégés, et les plus petits allongent l’argent.
Apolline éclata de rire, un éclat franc et pur, qui ne manquait pas de chaleur. Les critiques acerbes de son oncle envers le catholicisme étaient justifiées et n’ébranlaient nullement sa propre spiritualité. À ses yeux, la religion et la spiritualité étaient deux choses distinctes, et Matthieu savait très bien distinguer la moquerie du cœur sincère. Il savait combien la foi avait aidé sa nièce, devenue orpheline du jour au lendemain, à reprendre goût à la vie. Et il ne lui était jamais venu à l’idée de s’en moquer.
Néanmoins, elle prenait plaisir à la taquiner depuis l’arrivée du jeune prêtre au village.
— Et sinon, dit moi, il est toujours aussi...mystique, ce jeune prêtre ?
— Il a cette manière de parler, presque hypnotique. Ce n'est pas juste des paroles, c’est comme s’il les vivait, comme s’il était réellement habité par ce qu’il prêche. Ça va au-delà de la foi, tu vois ? C’est une forme de présence… Une sorte de calme qui te donne envie de le suivre, même sans savoir pourquoi. Il ne cherche pas à séduire, mais à... à apaiser, à guider. C’est comme s’il n’appartenait pas totalement à ce monde, et c’est ça qui est fascinant. Les gens l’écoutent et se sentent transformés, sans qu’il ait à forcer quoi que ce soit. C’est presque… sacré.
Il y eut quelques secondes de silence avant qu’il ne soit percé par les éclats de rire de Matthieu qui manqua d’en avaler de travers son bout de volaille.
— Écoute toi quand tu parles de lui. T’as le même regard qu’un chinois devant La Joconde
— C’est pas faux, dit-elle en essuyant une petite larme d'émotion. Mais c’est plus que ça, tonton. C’est comme une révélation, une sensation d’être face à quelque chose de plus grand. Tu vois, ce n’est pas juste un prêtre, c’est un homme qui incarne vraiment ce qu’il prêche, qui vit sa foi dans chaque geste, dans chaque mot. Ça t’attrape, ça te dépasse. C’est… une sorte de magnétisme. Je ne sais pas comment expliquer autrement.
Matthieu, toujours hilare, leva son verre en direction de sa nièce.
— Ah, donc tu es en train de me dire qu'il est ton nouveau saint préféré ?
— Tonton...
— Aller, mon trésor, assume. Puis c’est très catholique d’idolâtrer. Et puis, même croyante tu restes une femme. Tu auras bon cacher derrière toutes les bondieuseries que tu veux...il y a des choses contre lesquelles on ne peux pas lutter.
Il avait lancé cette phrase non sans nostalgie. Le portrait de la tante Monique affiché dans le salon en disait suffisamment, et il ne manquait pas de baiser le verre du cadre avec tendresse chaque fois qu'il passait devant.
Quand il eut sorti son gâteau de poires au vin rouge, leur cloche tinta.
— Tu attends quelqu’un? Demanda Matthieu en posant le couteau
— Non, et toi?
Il se leva en grommelant contre ce satané visiteur venu troubler leur divin dimanche. Déjà, il s’apprêtait à ouvrir la porte en rassemblant ses meilleures répliques pour éconduire un potentiel importun. Mais en découvrant l’homme qui se tenait sur le seuil, il suspendit son souffle un court instant.
Droit, encore vêtu de sa soutane, Père Salvador semblait à peine remis de l’échange qu’il avait eu avec Catherine après la messe. Il portait toujours sur lui cette étrange intensité, ce mélange de douceur et d’inflexibilité qui lui donnait une prestance indéfinissable.
— Oh, mon Père ! Voilà qui est inattendu. Vous avez suivi le fumet du vin ou c’est le hasard qui vous guide ?
Le jeune prêtre esquissa un sourire.
— Bonjour Matthieu, vous allez bien ?
— Je vais toujours bien après un repas divin. Il tapota son ventre d’un air satisfait avant d’ajouter, malicieux : C’est une visite de courtoisie ou une mission céleste ?
— Un peu des deux. En vérité, je souhaitais voir votre nièce. J’aimerais m’entretenir avec elle.
Matthieu haussa un sourcil amusé et lança un regard en coin à Apolline.
— Tiens donc… Il fit mine de réfléchir, avant de trancher. Apolline! Sors une troisième assiette à dessert ! Visiter les âmes, ça creuse.
— Je ne serai pas très long. Je ne voudrais pas vous prendre trop de votre dimanche.
— Très bien, mais si vous êtes pressé, je vous préviens, vous allez rater le dessert... et ça, c'est un vrai péché !
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