2.1 - Que mon bien-aimé entre dans son jardin, et qu’il mange de ses fruits exquis !
- Von_Erato
- il y a 2 jours
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Chevauchant son vélo hollandais, Apolline filait à travers champs.
Le vent, joueur, s’engouffrait sous sa robe, soulevant le tissu juste assez pour dévoiler la douceur nacrée de ses cuisses. Chaque coup de pédale tendait un peu plus les muscles de ses jambes, les modelant sous la lumière du soleil. Elle sentait l’air effleurer sa peau, une caresse fugace, presque impudente, qui la faisait frissonner.
Elle filait droit vers la petite maison qu’elle partageait avec son oncle Matthieu.
Ce dernier, ancien prêtre défroqué s’étant retourné vers le Protestantisme, s’affairait à touiller une salade de tomates. Un délicieux poulet à l’huile ruisselante sur un lit des pommes de terre grenailles finissait de cuire. Une table simple pour deux était dressée dans le salon sobrement décoré où émanait un jeu de questions réponses.
— François Ier! Lança-t-il, le nez dans le saladier, comme s’il était à la place du candidat.
Le grincement du portillon en fer annonça le retour de la prunelle de ses yeux. Un sourire tendre, mais teinté d’une légère amertume, tiraillait ses fines lèvres ridées.
— Tonton! Je suis rentrée!
— Oui, je suis là, ma chérie.
Elle ôta ses talons pour chausser ses chaussons d’intérieur et alla rejoindre son oncle où elle lui déposa un petit baiser tendre sur la joue.
— Ça a été la messe?
— Très bien, oui. Un joli prêche sur l’amour de son prochain...
Elle avisa les tomates dans le saladier.
—...Oh! Tonton! C’est pas la saison des tomates!
— Et alors? Elles étaient en promotion.
— Ça valait l’aller-retour à Rodez. Ironisa Apolline en sortant une bouteille de vin rouge.
— Exactement ! Ça et le deuxième saucisson à moitié prix.
Le regard de sa nièce pétilla. Son amour pour la viande de porc égalait son appétit charnel. D’un sourire moqueur, Matthieu se leva vers le placard pour en sortir le long tube de charcuterie. Il commença à couper des tranches épaisses pendant qu’Apolline remplissait deux verres à pied.
— Ça aura toujours meilleur goût que l’hostie.
— Et ton vin sera meilleur que le vin de messe.
— En parlant de vin de messe...c’est toujours le même jeune prêtre qui assure?
Apolline sentit une chaleur inattendue monter en elle. Non pas la gêne d’une jeune fille prise en faute, mais quelque chose de plus profond, plus indéfinissable. Un vertige léger. Comme une prière inversée.
— Ah! Ton sourire en dit long! Rit Matthieu en lui tendant la plaque sur laquelle il avait tranché la charcuterie.
— Pas la peine que je t’en dise plus alors. C’est la même chose tous les dimanches. Conclut-elle en prenant un bout qu'elle colla contre son palais avec sa langue. Hum...un goût pareil c’est limite indécent!
— L’indécence est souvent une question de point de vue, ma chérie. Tite disait "Tout est pur pour ceux qui sont purs ; mais rien n'est pur pour ceux qui sont souillés et incrédules, leur intelligence et leur conscience sont souillées."
— Exactement.
Elle reprit un second bout, puis un autre, tout en l’arrosant doucement le vin rouge délicat.
— Bon alors, cette messe? Dis m’en plus. S’impatientait Matthieu qui s’était levé pour arroser le poulet.
— Rien de plus, tonton. Quand je te l’ai dis, c’est toujours pareil... Les mêmes regards, les mêmes médisances, les mêmes harpies qui me tiennent pour responsable du fait que leurs maris me convoitent...
Il soupira. Chaque dimanche, Apolline revenait avec les mêmes discours. Toujours les mêmes regards qui glissaient sur son corps. Il n’avait rien contre cet acte. Après tout, sa nièce était fort belle et il était normal qu’on la remarque. Par contre, il ne supportait pas cette convoitise qui tendait à l’objectification. Ni la culpabilité que les femmes qui village jetaient sur ses épaules.
— Ce n’est pas toi qui allumes le feu, ce sont elles qui attisent leurs propres braises.
— Ah je le sais. J’ai d’ailleurs recadré Catherine à la sortie de l’église.
— Ah celle là... La dernière fois qu’elle a été mouillée c’est quand elle a prit sa douche. Tu sais, les mêmes qui te jettent des regards pleins de jugement sont souvent celles qui ont du mal à dire non à une part de gâteau supplémentaire aux noces. Ou à un petit secret bien gardé.
Elle éclata de rire en se resservant en vin.
— Pas de doute, tu as compris leur façon de penser. Et ces femmes, elles croient que juger les autres et jouer les polices de la chrétienté leur donnera un ticket pour le paradis. Mais la vérité, c’est que ça les empêche juste de vivre.
— T’en fais pas, ma chérie. Je ne connais que trop bien ces gens là. L’amour du prochain oui, mais sous réservé à conditions, comme quand t’achètes une voiture. Garantie limitée et lecture des petits caractères taille cinq.
— Si tu fais tout ce qu’ils exigent, du poisson du vendredi au pèlerinage à Compostelle, tu finiras peut-être par mériter leur tolérance.
Le duo rit de bon cœur.
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